On prédit la mort du mot de passe pratiquement depuis que
celui-ci existe. Bill Gates soi-même prophétisait sa disparition dès
2004. Aujourd'hui des voix s'élèvent pour réclamer sa mise au rebut
chaque fois qu'une faille de sécurité fait les gros titres, les
dernières en date étant le piratage d'identifiants et de mots de passe
au sein de l'ICANN ou encore chez Sony Pictures.
Et
effectivement les mots de passe présentent des failles. Ou, plus
exactement, la façon dont nous les utilisons. Nous en choisissons de
trop simples, oublions les plus complexes, les partageons avec nos
collègues ou nos subordonnés, ou avec quiconque exerce une forme
d'autorité. Une étude d'IS Decisions
révèle que pas moins de 23 % des utilisateurs américains et
britanniques partagent leurs mots de passe professionnels avec un ou
plusieurs collègues.
Biométrie : le rêve
Il
n'est donc pas étonnant que les technologies de nouvelle génération en
matière de sécurité informatique paraissent séduisantes, en particulier
la biométrie dont les avantages peuvent apparaître comme
intéressants. Impossible en effet d'oublier notre empreinte digitale ou
rétinienne. Tout utilisateur d'un iPhone récent sait combien il est
facile de déverrouiller son portable ou de payer une application au
moyen de son empreinte digitale. La procédure est à la fois sécurisée et
très simple, rendant l'authentification facile et fluide.
Biométrie : la réalité
Mais
cette fluidité ne constitue pas nécessairement un avantage réel dans
le domaine de la sécurité des réseaux. Fondamentalement, la biométrie
constitue une approche différente de celle des mots de passe. Alors
qu'un mot de passe est un élément que l'utilisateur connaît, un marqueur
biométrique est un élément qui le caractérise. On peut également
évoquer les tokens (« jetons ») physiques, ou les clés, des éléments que
l'utilisateur possède.
Chaque méthode possède ses
propres avantages et inconvénients et, s'il est certes difficile de
partager une empreinte digitale, il est étonnamment facile de leurrer un
lecteur d'empreintes digitales ou de reconnaissance rétinienne, comme
l'ont récemment démontré les hackers du Chaos Computer Club. Se pose
alors le problème de la pérennité : si un mot de passe est compromis, il
est possible d'en changer, ce qui n'est bien sûr pas le cas d'une
empreinte digitale.
La biométrie ne peut être utilisée isolée
La
réalité est que la biométrie peut difficilement être utilisée comme
mesure de sécurité isolée. Même Apple, dans sa mise en œuvre de la
lecture d'empreintes digitales, associe cette technologie à l'emploi de
mots de passe. Dès lors que l'utilisateur veut rallumer son téléphone ou
faire un achat via iTunes pour la première fois, il a besoin de saisir
un mot de passe. Dans l'application Apple Pay, des mesures sont prises
pour protéger la confidentialité des informations de carte de crédit de
sorte que, même si un voleur parvenait d'une manière ou d'une autre
à reproduire l'empreinte digitale de l'utilisateur, il rencontrerait des
difficultés pour effectuer un achat par carte sans disposer des autres
données de sécurité.
La technologie biométrique est donc
utilisée en conjonction avec le bon vieux mot de passe, car la
combinaison de deux facteurs d'authentification semble a priori plus
robuste que l'utilisation d'un seul. Mais la réalité est plus complexe.
Une authentification à deux facteurs peut en effet amener les
utilisateurs à se contenter de mots de passe plus simples, de sorte que
si le premier facteur est contourné, le second facteur devient
vulnérable.
Une technologie marquée par sa lourdeur, en entreprise
L'autre
inconvénient de la biométrie est la lourdeur, et donc la lenteur
prévisible, de son déploiement en entreprise. Les entreprises sont
aujourd'hui beaucoup plus réticentes à adopter les nouvelles
technologies que le grand public, et il n'y a aucune raison de penser
qu'il en sera différemment pour la biométrie.
Et de
fait, les entreprises les plus préoccupées par la sécurité sont souvent
parmi les plus lentes à évoluer. Nombre d'entre elles, dans les secteurs
pourtant sensibles des services financiers, de la défense ou de la
santé ne migrent que depuis peu de Windows XP, un système d'exploitation
vieux de 13 ans, vers Windows 7. Et encore n'abandonnent-elles XP que
parce que Microsoft en a arrêté le support. Les entreprises sont
logiquement prudentes et veulent très légitimement avoir un minimum de
garanties sur la fiabilité d'une technologie avant de se risquer à
l'adopter.
Les technologies de sécurité biométrique ont
été encore relativement peu testées à grande échelle et seront coûteuses
à mettre en œuvre. Il coulera donc beaucoup d'eau sous les ponts avant
que même les entreprises les plus soucieuses de sécurité n'envisagent de
les déployer massivement.
Renforcer les mots de passe
Et
cela ne constitue pas un réel problème. La biométrie a peut-être de
beaux jours, bien que lointains, devant elle mais, pour l'instant, il
reste beaucoup à faire pour renforcer la sécurité offerte par les mots
de passe.
Les mots de passe, comme la biométrie, ne sont
qu'une mesure de sécurité parmi d'autres et aucune d'entre elles
n'assure la sécurité à 100 %. La bonne approche dans ce domaine consiste
toujours à prendre l'ensemble des mesures appropriées pour atténuer
tous les risques possibles. Cela peut signifier une approche au cas par
cas, de la même manière qu'un niveau de sécurité différent s'applique à
votre porte d'entrée et à la salle des coffres de votre banque.
Utiliser des "couches" de sécurité
Le
recours à une seule mesure de sécurité aboutit inévitablement à des
vulnérabilités, c'est pourquoi nous entrons dans l'ère des couches
de sécurité, et non de la disparition du mot de passe, qui ne constitue
que l'une de ces couches. Un jour peut-être la technologie biométrique
sera-t-elle suffisamment éprouvée pour que les entreprises l'adoptent
comme couche supplémentaire mais, pour l'heure, les solutions choisies
en matière de sécurité doivent être opérationnelles et pragmatiques, ce
qui est très précisément le cas aujourd'hui du renforcement des mots de
passe.
Comme je l'ai rappelé en introduction, la
faiblesse relative des mots de passe n'est pas intrinsèque, mais réside
dans les erreurs humaines qui émaillent leur utilisation. C'est donc en
remédiant à certains comportements des utilisateurs que nous pourrons
renforcer l'efficacité des mots de passe. Des technologies fiables
permettent aujourd'hui de restreindre l'accès des utilisateurs en
fonction du lieu et/ou de l'heure, d'interdire les connexions
simultanées (même identifiant, même mot de passe) et de réduire ainsi
drastiquement la tentation de partager les mots de passe. L'entreprise
peut sensibiliser ses utilisateurs en les alertant lorsque leurs
identifiants sont utilisés à partir d'un nouveau lieu et surveiller
étroitement l'activité sur le réseau en temps réel à la recherche de
comportements d'accès inhabituels ou suspects.
Toutes
ces précautions ont pour effet d'atténuer le facteur « erreur humaine »
du mot de passe traditionnel et contribuent à diminuer la surface
d'attaque de votre réseau. Et même si arrive le jour d'une
généralisation de la sécurité biométrique, un renforcement des contrôles
d'accès des utilisateurs et de la sécurité des mots de passe continuera d'être indispensable.
source: http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20150113trib3d125384b/cessons-de-rever-de-biometrie.html
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